Oui, il existe bien un verrou des 35 heures (dans la fonction publique)

Publié le par Cacambo

Le débat sur les 35 heures a suscité de nombreux commentaires sur lesquels je ne vais pas revenir. Il me semble toutefois qu'on a eu tendance, lors de ce débat, à se focaliser sur la seule question du secteur privé. Tout au plus a t-on parfois évoqué la situation de l'hôpital public, sans s'y attarder vraiment...

Il me semble pourtant utile de rappeler que les termes du débat sur la question sont très différents dans le privé et dans le public. Dans le privé, personne ne conteste sérieusement que la mise en place de cette réforme s'est traduite par des efforts (imposés) de productivité, d'organisation du travail, et de modération salariale. Si l'on ajoute à cela les mesures d'accompagnement financières liées à la réforme, et les mesures d'assouplissement mises en oeuvre depuis 2003, on comprend assez bien que le patronat ne voit guère d'intérêt au débat ouvert par MM Valls et Copé.

Dans la fonction publique, la situation est totalement différente. La réforme a été mise en place entre 2000 et 2002, à une époque où on se doute que le gouvernement en place n'avait pas vraiment pour intention de froisser les fonctionnaires... Pour ne citer que ma propre expérience (j'ai mis en place les 35 heures dans une administration centrale) - confortée par celle d'à peu près tout mes collègues - la réforme a été mise en oeuvre sans aucune réforme de l'organisation du travail... Le temps de travail a été réduit (généralement sous forme de jours de congés supplémentaires). Point final. Même la modération salariale n'a pas vraiment été au rendez-vous : l'évolution de la fameuse "rémunération moyenne du personnel en place" (ou RMPP pour les intimes) ayant progressé sensiblement plus que l'inflation depuis 2000 - avec paradoxalement une pointe en 2002 année de la généralisation de la réduction du temps de travail1... Au total, la seule "contrepartie" accordée a simplement été que la fonction publique s'est officiellement autorisée à se dispenser de toute embauche compensatrice... Enfin, contrairement à ce qui a eu lieu dans le secteur privé après 2002, aucun réel "détricotage" (pour employer le mot à la mode) n'a été fait dans le secteur privé à l'exception de certaines modifications du régime du "compte épargne temps" qui, dans son régime 2002, menaçait purement et simplement de fermeture un certain nombre de services publics (notamment hospitaliers, on y revient) à leur échéance...

Au final, les 35 heures constituent bien encore aujourd'hui un verrou dans la fonction publique. Ce "verrou" a entraîné de très lourdes conséquences budgétaires et me semble, en pratique, largement à l'origine de la dégradation de la qualité des services publics : même si certaines administrations ont pu partiellement compenser la réforme - parfois en procédant à des embauches (souvent de contractuels) - contrairement à la doctrine officielle de "non compensation" - le cas général a simplement été qu'il a fallu s'adapter à 10 % de baisse des heures travaillées. Certes les agents ont souvent fait des efforts pour limiter les impacts pour l'usager, mais ça a été loin d'être suffisant et, en pratique, celas'est souvent traduit par 10 % de "production" publique en moins (à décliner selon qu'on soit à l'hôpital, dans une mairie, ou dans une administration centrale etc)... 

Cette situation me semble largement à l'origine de la paralysie financière dans laquelle se trouve la fonction publique depuis 2002 (toutes les marges de manoeuvre ayant été gagées pour faire face à cette situation. pour ma part, je pense qu'aucune réforme sérieuse de l'Etat ne pourra être faite sans qu'elle soit remise en cause...

Evidemment de tels propos ne sont pas très populaires et je comprends fort bien que ni la gauche ni la droite ne se risque sérieusement à les évoquer de cette façon. Je n'ai toutefois jamais entendu un manager public sérieux contester ce diagnostic et il me paraissait utile de le dire...

 

1  Je n'ignore pas les débats sans fin auxquels donnent lieu l'analyse du pouvoir d'achat des fonctionnaires et je ne prétends pas les trancher ici. Toutefois personne (pas même les organisations syndicales) ne conteste sérieusement que l'évolution du pouvoir d'achat des fonctionnaires a été très sensiblement supérieure à celle des salariés du secteur privé...

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M
<br /> <br /> J'entends bien, pour la "cagnotte" mais la question que je me pose est avant tout rétrospective puisque je n'ai aucun souvenir de débats à l'époque sur la nécessité de recruter<br /> d'avantage dans la sphère publique pour compenser la diminution du temps de travail (ou du choix de diminuer les prestations publiques à due concurrence). Je ne comprends pas comment nous avons<br /> pu ne tenir aucun compte de cette nouvelle situation (à moins que les "emplois jeunes" aient pu temporairement boucher quelques trous ?) même si je suppose que la seule raison pour<br /> laquelle il n'a pas été procédé à des embauches était que le budget devait bien continuer à être vaguement équilibré sans trop d'efforts (et, à l'époque, en effet, les baisses d'impôts, c'était<br /> in...) tandis que la diminution du chômage ne rendait pas politiquement indispensable lesdites embauches.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Ce qui est quand même paradoxal, c'est que les "35 heures" avaient clairement pour finalité dans l'esprit de la majorité en place entre 1997 et 2002 de partager le travail et de lutter<br /> contre le chômage : pourquoi n'a-t-on pas procédé aux embauches nécessaires pour compenser la diminution de 10% de la production de la sphère publique, alors que l'idéologie dominante n'exigeait<br /> pas la réduction constante du nombre de fonctionnaires et que les ressources fiscales de l'époque (la "cagnotte") auraient été plus ou moins à même de supporter ces charges<br /> supplémentaires ?<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> "La cagnotte" n'a jamais été qu'une invention politique, il s'agissait d'un moindre déficit (une cinquantaine de mds de francs au lieu des 80 qui avaient été prévus par Bercy). Du reste ladite<br /> cagnotte a été allègrement dépensée (en réduction d'impôts) à l'époque, participant ainsi au déficit public d'aujourd'hui...<br /> <br /> <br /> Ni à gauche, ni à droite, ni hier ni aujourd'hui, personne ne pense sérieusement à embaucher massivement plus de fonctionnaires dans un pays qui est déjà, et de loin, l'un des plus fonctionnarisé<br /> de la planète...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> C'est ce qu'il me semblait: si le privé a été forcé de s'adapter (une des grandes critiques des 35h a été justement que c'était obligatoire), dans le public, il ne s'est pas passé grand chose. Et<br /> ce que vous dites s'applique au salaire brut, alors que la cotisation patronale retraite de l'état a pas mal gonflé depuis lors, ce qui aurait causé d'énormes difficultés à une entreprise privée<br /> pour augmenter les salaires! <br /> <br /> <br /> <br />
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