La Constitution et les langues régionales
Je reviens avec un peu de retard sur cette "affaire" d'une (éventuelle) reconnaissance des langues régionales dans la constitution et qui donne donc lieu à désaccord (un de plus) entre l'Assemblée Nationale (qui est à l'origine de la disposition et l'a adoptée avec l'appui du gouvernement) et le Sénat (qui, contre l'avis du gouvernement, l'a rejetée à la très large majorité des mêmes partis qui étaient à l'origine de son adoption à l'Assemblée). Entre temps, une vieille dame avait pris une position médiatique et remarquée à l'encontre de ce texte mais c'est sans doute lui prêter trop d'honneurs et d'influence que de penser que ceci explique celà…
Tout d'abord, rappelons de quoi il s'agit : cette proposition (n'en parle au présent car le débat n'est évidemment pas clos) consiste à ajouter à l'article 1er de la constitution qui, à ce jour, édicte que "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée." une seconde phrase qui indiquerait que "Les langues régionales appartiennent à son patrimoine".
Sur le fond, j'ai mon opinion dans ce débat et je ne la cache pas. Je comprends parfaitement qu'on puisse en avoir une autre, mais j'avoue néanmoins avoir été surpris par la virulence, mais aussi la teneur, de certaines de ces réactions, notamment quant elles émanent de nobles bloggeurs tels que le professeur Rollin ou Authueil). En réponse à ces opinions – et à d'autres – je souhaite revenir sur trois aspects de ce débat.
D'abord, je ne comprends pas les reproches faits à l'Académie dans cette affaire, reproches assortis d'un mépris non dissimulé et sans doute un peu facile... On peut débattre à l'infini de l'utilité / nécessité de l'Académie Française (bien que, du haut de ses presque 400 ans, elle supporte à mon avis plus qu'aisément la comparaison par rapport à d'autres machins modernes dont l'inutilité et l'inefficacité sont patentes pour un coût infiniment supérieur....), mais, quelle que soit l'appréciation qu'on porte à son égard, tant que l'institution existe, il semble difficile de contester sa légitimité à intervenir dans ce débat.
Sur le plan juridique, cette disposition souffre d'une malfaçon d'origine difficilement réparable : le gouvernement – dans sa tentative désespérée de sauvetage de sa réforme institutionnelle – était prêt à accepter un amendement sur les langues régionales, espérant ainsi rallier certaines voix de la gauche, des écologistes et du Modem mais à la condition expresse qu'un tel amendement ne conduise pas à la remise en cause de la décision du conseil constitutionnel du 15 juin 1999 qui avait constaté la non-conformité à la constitution de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, aux motifs de sa contrariété à l'article 1er de la constitution (violation du principe d'égalité et d'indivisibilité en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des locuteurs de langues régionales), et à l'article 2 (en ce que les dispositions de la Charte peuvent conduire à reconnaître le droit de pratiquer une langue régionale devant la justice et les services publics administratifs). Cette volonté de concilier les contraires (les débats démontrent explicitement que cette fameuse charte était évidemment l'enjeu du débat constitutionnel) avait conduit la Commission des lois de l'Assemblée Nationale à un compromis bâtard : la disposition proposée aurait trouvé place dans l'article 1er (alors que la constitutionnalisation de la langue française résulte de l'article 2) et se limite à une formulation neutre, censée n'être créatrice d'aucun droit positif. Tout ceci aboutit à une formulation à la fois incohérente (faute d'articulation entre les articles 1 et 2) et "incantatoire" (marque classique de la "loi bavarde"). Il reste que c'était l'objectif recherché : même si le gouvernement prétend le contraire, j'ai de bonnes raisons de penser qu'il est parfaitement prêt à envisager la ratification de la Charte comme "prix" du ralliement de certains parlementaires de gauche et du Centre à sa réforme institutionnelle… Tout le problème est qu'il lui est impossible de le reconnaître devant une bonne partie de sa majorité parlementaire. Ceci l'a donc conduit à proposer un texte volontairement mal fichu en espérant que l'ambigüité et l'incertitude juridique qui en résulterait lui permette, à tout le moins de saisir à nouveau le Conseil constitutionnel de la question et peut-être même celui-ci de revenir sur sa jurisprudence de 1999… On peut comprendre la manœuvre au plan politique (encore qu'elle se soit largement retournée contre ses auteurs) mais le résultat est évidemment indéfendable au plan juridique et je comprends mal que certains s'y soient risqués.